C’est une touche-à-tout. Alice Ouédraogo née Yaro est une figure emblématique de l’entreprenariat féminin au Burkina. Sacrée meilleure entreprenante en 2018 par le ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille, elle a réussi dans tout ce qu’elle a entrepris. D’hôtesse d’accueil à l’aéroport de Ouagadougou, elle est aujourd’hui entreprenante dans plusieurs domaines. Un parcours qui lui a valu plusieurs distinctions, signes de sa bravoure et de son succès. Mère de trois enfants, cette sexagénaire n’est pas prête de s’arrêter. Lefaso.net est allé à sa rencontre.
Lefaso.net : Aujourd’hui sacrée meilleure entreprenante du Burkina Faso, quel a été le travail qui vous a valu ce prix ?
Alice Ouédraogo (A.O.) : Il faut dire que j’ai toujours eu l’amour du travail bien fait. Je n’ai jamais lésiné sur les moyens, aussi modestes soient-ils, à mettre en œuvre pour obtenir les meilleurs résultats dans tout ce que j’entreprends. Ce désir a débuté, il y a 37 ans, par la création d’un salon de coiffure, dénommé « Le salon d’Armelle », avec des équipements modernes accessibles aux jeunes dames voltaïques de l’époque afin de meubler le temps libre que me laissait mon travail d’hôtesse d’accueil à l’aéroport pour l’ancienne compagnie Air Afrique.
Par la suite, compte-tenu de mon expérience professionnelle dans le transport aérien, j’ai ouvert l’une des premières agences de voyage à Ouagadougou, « Armelle voyage et tourisme », toujours fonctionnelle. Après cela, j’ai ouvert un jardin d’enfants « Le petit poucet », qui est devenu aujourd’hui « Groupe scolaire Le petit poucet ». Toujours dans le souci d’avoir plusieurs cordes à mon arc, je me suis lancée dans l’hôtellerie avec les « Bougainvilliers » de Koubri et la « Résidence Alice ». Et suite à la fermeture de la Savana, j’ai mis en place une unité de transformation de fruits locaux en jus « Delicio », etc. Et je pense c’est ce travail qui m’a valu ce prix et d’autres prix.
Lefaso.net : D’où vous est née cette idée ?
A.O. : Si je suis dans l’entreprenariat aujourd’hui, c’est grâce à ma grand-mère maternelle qui était à l’époque une grande commerçante de dolo (bière locale à base de petit mil, ndlr) et aussi éleveuse d’ovins et de volaille, auprès de laquelle je passais mes vacances scolaires. Elle me faisait vendre du poisson et sur chaque poisson vendu, j’avais une ristourne de 50 F CFA. C’est ainsi qu’elle m’a encouragée à faire le commerce, parce que pour elle, j’avais toutes les aptitudes pour réussir dans ce domaine. Et lorsque j’ai été admise comme hôtesse d’accueil à l’aéroport, j’ai en profité pour me lancer et c’est ainsi que c’est parti.
Lefaso.net : En tant que référence en matière d’entreprenariat féminin au Burkina Faso, quelle appréciation faites-vous de la promotion de l’entreprenariat féminin par les politiques ?
A.O. : Pour moi, le plus grand handicap à l’entreprenariat féminin aujourd’hui, ce sont les difficultés d’accès aux financements liées aux pesanteurs sociales et culturelles. Il faudra donc que le gouvernement, à travers son ministère en charge de la Femme, accentue la sensibilisation en encourageant les femmes à s’investir et met en place des fonds spéciaux et de garanties permettant aux femmes d’emprunter à des taux préférentiels.
Lefaso.net : Il n’y a pas de parcours sans embuche ; dites-nous, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
A.O. : Quand on est femme entrepreneure au Burkina, on est confrontée de prime abord au doute sur vos capacités managériales dans nombre d’activités qui ont toujours été l’apanage des hommes. Donc, il faut se battre doublement avant d’être acceptée par les structures de financement et partenaires commerciaux. On est plus souvent confrontée aux tentatives de duplicité et d’escroquerie.
Lefaso.net : De quoi êtes-vous fière lorsque vous regardez votre parcours ?
A.O. : (Sourire). C’est toujours difficile de parler de soi, mais il faut dire que pour être à la tête de plusieurs entreprises, employant aujourd’hui plus de 200 personnes, il faut travailler deux fois plus que les autres. Et lorsque je regarde mon parcours, il y a de quoi être fier quand même. Cependant, je garde la tête froide et je reste toujours moi-même. Reconnaissante envers mon époux, qui a toujours été à mes côtés et envers tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à ma réussite.
Lefaso.net : Après plus 37 ans dans l’entreprenariat, comment trouvez-vous l’entreprenariat féminin au Burkina Faso ?
A.O. : L’entreprenariat féminin au Burkina Faso décolle difficilement. Même s’il y a de plus en plus de femmes qui se lancent dans ce domaine, il faut reconnaître qu’il y a toujours certains préjugés socioculturels qui empêchent les femmes de s’y lancer. Il faut donc inviter les jeunes filles à prendre conscience de leur avenir, en participant, par des entreprises personnelles, aussi petites soient-elles, à la stabilité et à l’épanouissement du foyer et, partant, contribuer à l’amélioration des conditions de vie des femmes.
Lefaso.net : Les statistiques ont montré qu’au Burkina, il n’y que 21% de femmes entreprenantes ; selon vous qu’est-ce qu’il faut faire pour améliorer ce chiffre ?
A.O. : Il faut mettre en place des structures permanentes nationales de formation et d’encadrement afin d’encourager les femmes à se lancer dans l’entreprenariat. Car beaucoup de femmes ne savent pas par où commencer ni comment faire quand bien même qu’elles ont les potentialités. En plus de cela, il faut mettre en place des systèmes de mentorat et de coaching ou de groupements pour les femmes afin d’avoir un meilleur accès à des financements conséquents pour mener à bien les projets.
Lefaso.net : Quel conseil donneriez-vous aux jeunes filles souhaitant devenir comme vous ?
A.O. : Je les invite à prendre leur avenir en main à travers la création de leurs entreprises personnelles, aussi petites soient-elles, et surtout à d’abord bien mûrir leurs projets. Et surtout qu’elles n’oublient pas qu’elles doivent fournir plus d’efforts pour pouvoir s’imposer sur le marché.
Interview réalisée par Yvette Zongo
Lefaso.net